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Élodie STEPHANT, diplômée en 2015

 


 

Comment te définis tu en tant que designer ? Quelle est ta démarche ? Quelles finalités vises-tu ?


Aujourd’hui, je me définie comme une designer engagée. Le rôle du designer est avant tout de concevoir et produire un objet qui correspond aux problématiques de son époque et à l’environnement dans lequel il évolue. Dans un monde où les frontières tendent à s’abolir et où les nouvelles générations se battent pour la défense des intérêts environnementaux, j’estime qu’il est de mon devoir d’apporter ma pierre à l’édifice. Le concept de Polette - chez qui je dessine des lunettes depuis quatre ans - correspond à l’engagement que je veux donner à mon métier. La société a été créée en 2011, par un couple de Français, à Shanghai, outrés du système de quasi-monopole sur le marché de l’optique. Les lunettes ne coûtent rien à produire et sont vendues une fortune par les intermédiaires, sachant que contrairement à la France, les lunettes sont peu remboursées dans les autres pays de l’UE. Polette est donc concepteur, producteur et distributeur. Un circuit court, qui passe du producteur directement au client sans intermédiaire et surtout sans stock, à l’échelle internationale.
J’aime penser ma démarche comme une équation. Les enjeux sont multiples même sur un produit aussi petit et basique. Penser son cycle de vie dans sa globalité, c’est faire face à une multitude d’inconnues : Où aller chercher la matière première ? Quels matériaux utiliser ? Quelles propriétés techniques et mécaniques sont nécessaires pour mon produit ? Comment le recycler… Toutes ces questions forment seulement la partie émergée de l’iceberg. Mon rôle est de compiler toutes ces recherches, invisibles pour le client, pour créer un produit qui répond à toutes les exigences optiques et esthétiques, tout en assurant sa faisabilité industrielle.
Évidemment, sur le marché de l’optique, notre premier fournisseur est la Chine. Peu le savent mais aujourd’hui, l’acétate qui sert à produire les lunettes du monde entier provient exclusivement de l’Empire du Milieu. Il n’existe pas d’autre point de production sur la planète. De fait, la Chine possède un immense savoir-faire en la matière. De manière assez logique donc, après avoir travaillé quatre années à Amsterdam, je me suis installée à Hong-Kong en décembre 2020. Le but ? Travailler avec nos partenaires chinois pour développer des chaînes de production plus éco-responsables (en recourant le moins possible à des produits chimiques polluants) et concevoir des matériaux entièrement recyclables (lentille, cadre, insert...).

 

Que retiens-tu de ta formation en DSAA (plus ou moins sérieusement) ?
Que t'a apporté le DSAA au LAAB ?


Le DSAA est davantage un bagage théorique que pratique. C’est une sorte de boîte à outils qui regroupe beaucoup de connaissances générales, facilement exploitables et adaptables aux différents domaines dans lesquels un designer évolue. La partie que j’utilise le plus au quotidien est la démarche pédagogique mise en place et propre au LAAB. Elle m’est utile pour manager mon équipe, les écouter, prendre en compte leurs problèmes, leurs solutions, leurs envies.
Par exemple, j’utilise les mêmes feuilles d'évaluation pour les membres de mon équipe que ce que nous avions durant la formation. Ils peuvent voir comment ils évoluent dans l’entreprise, leurs points forts et leurs points faibles, se remettre en question et avancer dans leur pratique du métier.

 

Quel est ton parcours depuis ta sortie du DSAA au LAAB ?

Après une longue introspection, j’ai choisi de donner corps à mon projet de diplôme. Mon sujet de mémoire portait sur la vulgarisation de la science. J’ai donc décidé de faire un service civique Chez les p'tits débrouillards, une association d’éducation populaire qui veut rendre la science accessible à tous. En parallèle, j’ai continué à développer des projets pour mes maîtres de stage à Montréal et je participais à des Hackathon entre Rennes et Paris. L’idée était d'étoffer mon carnet d’adresses, multiplier les contacts pour accroître mon réseau et comprendre quel genre de designer je voulais être. Tout en cherchant du travail, évidemment.
Rapidement, je me suis rendue compte que j’avais envie de repartir à l’étranger et prendre ma revanche sur mon niveau d’anglais quasi inexistant. Le hasard a bien fait les choses : j’ai décroché un stage chez Polette à Amsterdam. Je me suis battue tous les jours pour répondre aux attentes de l’entreprise, tout en proposant des objets répondant à mes propres exigences. Complètement novice dans le domaine, j’ai découvert un univers complexe, appris à négocier avec des fournisseurs chinois, à contourner les contraintes techniques, à maîtriser les coûts de production...
Mon travail a dû plaire puisque j’ai été embauchée au bout de quelques mois. Aujourd’hui, je dirige une équipe de quatre designers que j’ai moi-même recruté. Mon plus grand défi a été d’apprendre à manager tout en restant bonne technicienne dans mon domaine d’expertise.

 

Quel plaisir/fierté tires-tu de ta pratique de design actuelle (ou en devenir) ?

Dans ma pratique du design aujourd’hui, je peux proposer des produits où le design et l’écoconception ne sont pas des plus-values monétisées, mais plutôt une condition sine qua none de ma démarche.
Dans un futur proche, j’aimerais proposer à notre communauté, des collections discursives autour de différents débats sociétaux que nous avons aujourd’hui, et engager l’entreprise dans des combats comme la lutte contre le cancer, la pauvreté, etc.

 

Polette
For all pictures, credit :


Art director: Fanny Maillet
Photography: Bernardo Laureano
Styling: Anna Mala & Vincent Morin
MUAH: Marije Koelewijn
Production: Claudia Ubeda Roca